Une mouche ne peut se suicider en sautant d'une tour [Privé]

Tellement immense... L’obscurité infinie du ciel m’incite sans objection admise à me noyer lascivement en elle… Tout ce que mes yeux perçoivent est une invite à la mort. Qu’est-ce que ces pâles lueurs au loin ont à m’apporter d’autre qu’une souffrance miséricordieuse ? La surface rugueuse du granit effrité sous mes doigts me rappelle à quel point le monde qui m’emprisonne est solide et réel, à quel point le seul fait que mes pieds reposent sur la pierre me coupe à jamais des gracieuses ailes de la liberté offertes par la mort… Et si je chavirais ? Et si j’allouais à l’air furibond de la nuit une chance de gifler ma peau fragile, aux courbes charmeuses de la gravité l’opportunité de me faire glisser contre elles vers l’ultime impact… Et si j’arrêtais de m’en faire, d’essayer de comprendre, d’avoir peur de faillir lamentablement, et si je m’accomplissais tout simplement, sans y songer… Je n’aurais qu’à me pencher au dessus de la rambarde, à apprécier un dernier instant le zéphyr nocturne dans mes cheveux pour accepter que mes os se fracassent, que mon corps entier s’aplatisse comme une crêpe mal cuite, que mon crâne explose avec soulagement sous la pression mortelle de la chute…

Je pourrais tournoyer quelques instants sur le rebord de la tour en espérant tomber, danser une dernière fois, une première plutôt, pour celle que j’aime et qui m’a oublié, crier son nom dans la nuit. Peut-être m’entendrait-elle ? Peut-être tendrait-elle son si joli cou vers la source de mon hurlement en plaquant avec horreur ses mains contre la vitre… Peut-être verrait-elle ma chute disgracieuse vers les ombres de la mort… Serait-elle jalouse ? M’en voudrait-elle d’avoir succombé à la luxure de la faucheuse plutôt qu’à la sienne ?

Je veux mourir… Mon existence ne fut que misère, je n’ai plus nulle part où aller. Rien ne m’attend au-delà, je le sais, que le néant impersonnel qu’est déjà la vie. Peut-être retrouverai-je le cachot sombre de mon enfance pitoyable…? Peut-être reverrai-je ma vie en un flash, toutes les fois où je hurlai pour qu’on me laissa voir la lumière du jour ? Toutes les fois où mon front s’abattit contre un mur pierreux, où j’entaillai une veine avec délice, où je pris plaisir à en lécher le sang qui en coulait, où je me mutilai avec jouissance du froid et de l’engourdissement progressif qui s’ensuivait…

Je suis pourtant toujours là aujourd’hui, à contempler un ciel vide de sens du haut de la tour d’astronomie de la réputée Hogwarts… Une école où je n’aurai jamais eu ma place malgré les dires de ma tendre sœur, malgré ses promesses de ne jamais me laisser tomber. Les cours se succèdent, tous pareils aux autres. Je me perds dans ma mélancolie à chacun d’entre eux, j’y oublie ma propre présence sur Terre, ce que fait aussi mon entourage sans remord… Je pourrais aussi bien être un fantôme, complètement invisible, sans utilité ni valeur pour plus personne maintenant. Même mon père, grand acharné, perdit tout intérêt envers mon cas après que ma soeur m’ait sorti de la cellule minuscule où je pourrissais depuis des années…

...Mauve. Au loin, je reconnais la pâleur de ses lulus bondissantes qui reflètent la lueur de la lune presque pleine. Elle se tient tout près des arbres sinistres de la forêt, accompagnée d’une personne à la longue chevelure rousse. Une amie j’imagine… J’empêche un accès de jalousie d’éclore dans ma poitrine haletante, réalisant à quel point elle me manque. Je ne peux plus me permettre de risquer avec fureur ma fragile vie pour abattre mes poings crispés sur ses amants. Pas que j’ai peur qu’ils me terrassent vu ma faible force physique – ce qui n’est étrangement jamais arrivé, la colère folle décuplant mon ardeur j’imagine -, mais un jour, mon ange découvrira mes actes haineux… Et elle me détestera pour de bon. Les rares fois où nous nous voyons s’amenuiseront, je n’aurai plus aucune chance de la garder pour moi. Je ne veux pas que l’on profite d’elle, ou qu’elle ait un quelconque contact physique avec un être humain… Non…! Je ne veux pas qu’elle trouve un semblant d’amour en quelqu’un d’autre que moi. Elle est ma seule lumière ! Je ne peux pas la perdre maintenant, je ne peux pas perdre le seul fil, aussi ténu soit-il, qui me rattache à la vie !

…qu’est-ce que ? Elle… Non… qui est cette rouquine détestable qui la tient si étroitement dans ses bras ? Pourquoi se dégage-t-il tant... d’affection de cette scène lointaine ? Non ! Non !! Mon pied se glisse involontairement sur la rambarde, mes mains moites et glacées de terreur s’y agrippent furieusement. Mauve !! Pourquoi me ronges-tu aussi cruellement !? Si c’est ma mort que tu veux, je te l’offre sans un seul regard en arrière ! Une simple poussée vers l’avant et tout sera enfin fini, le sais-tu !? L’épilogue de ma vie, le succès retentissant de ma dernière tentative, la seule qui n’aura pas échoué par ta faute !!

L’air siffle à mes oreilles, je me propulse amoureusement vers l’avant et enfin…

- ILS VONT MANGER TOUTES LES MOOOOUCHES !!! ARRRRRGH !!!!!!!!!

-Nouvelle adaptation de cette magnifique chanson que j’ai intitulée : nouvelle adaptation de cette magnifique chanson !! Mouiiii à la Jean-Michel Anctil !! Vous connaissez cet humoriste ?? Hein ?? Hein ?? Allez hochez la tête bande de babouins hirsutes !!! Mouiii !! Parfaiitttt !!!

Je regarde avec une satisfaction maternelle mes petites mouches galoper ici et là au-dessus de mon lit, le papa Gus se pose délicatement dans un biizzzbiiizzbiizzziizzz entrecoupé sur un morceau de beigne mâchouillé et se frotte la tête de ses longues pattes maigres et velues. Je souris bêtement, retrousse mon nez et agrandis mes yeux d’émerveillement en suivant Tus et Fus exécuter des acrobaties aériennes spectaculaires. Quels petits !! Ils sont déjà capables de voler comme des as !! Alors que je suis au comble de l’excitation, mon ventre émet un drôle de bruit, comme un gargouillis pittoresque. Ça joue là dedans !! Oh que ouiii mes namis !! Je me redresse un peu, attribuant ce temps à mon postérieur un peu de liberté et de lâcher un beau gros pet émoustillant accompagné d’un odeur sensuelle et d’un grand éclat de rire de ma part.

-BEUURRRKKKKK ??!!!! s’écrit l’une de mes compagnes de chambre en se tortillant dans son lit.

Quand même, mes flatulences ne sentent pas aussi mauvaises !! Mes mouches adorées ce sont précipitées vers la provenance de cette beauté du monde !!!

-TU PUES !! hurle à son tour une autre griffondor.

-Bon dieu !! Vous avez vraiment l’odorat dérangé !! je dis en cajolant affectueusement Mus, la maman.

-Tu pourrais arrêter de…de…de faire ça !!

-Mais faire quoi ? je m’étonne en lui adressant un regard interrogateur sous mes airs angéliques.

Eh oui !! Je suis un ange descendu du ciel pour convertir le peuple à la folie des DIEUXXXXX !!!! Mais, étrangement, nul ne me suit dans cette terrible quête. Bande de cons !! Mouahahahaha ! Ce n’est pas faute d’avoir essayé, je vous le jure, c’est juste que mes moyens de persuasions sont plutôt…trop divins pour que les simples mortels tels que eux puissent saisir le brin de mon enseignement. En plus, elles m’accusent de quelque chose !! Quelle sottise, comme si moi, Arielilolachimonimagninette pourrait accomplir un acte de déshonneur envers ma jolie personne enrobée d’un arôme délicieux ! Toujours en train de s’en prendre à moi celles là !! Moi qui reste sagement dans mon lit à admirer le vol sublime et chaotique de mes petites mouches !! Quand même !! Un peu de retenue !

-Tu…tu…tu émets des gaz grosse truie !! crie une petite blonde aux grands yeux gris perturbés.

-Moi ??

Je suis vachement étonnée. Je n’ai pas le culot de péter dans leur face quand même !! C’est comme d’aller faire un petit caca sans diminuer l’odeur avec des parfums ou un enchantement. Elles me prennent pour qui elles !! Dans le fond, c’est peut-être l’une de ses filles qui s’est échappée et me fait porter le chapeau parce qu’on s’en prend toujours après moiii !! Mouiii !! J’ai trouvé !! Par ailleurs, ça doit être la même qui essaye de m’empoissonner avec du faux sel qui est en vérité de l’arsenic, mais l’arsenic dissout d’un autre arsenic dans lequel cet arsenic n’est peut-être pas l’arsenic auquel je pense, mais un autre arsenic second de l’arsenic suprême !! J’ai trouvé !! Ah ouiiii !! C’est qui la meilleure ??!! C’EST QUI LA MEILLEURREEEEUUHHH !!??? Ce n’est certainement pas moi…Je hoche la tête pour moi-même de façon à ponctuer mes propos.

-Voyons…, je rigole en redéposant mon immense fessier sur le lit. Je ne ferais jamais ça. Vous savez que la drogue c’est mauvais pour la santé, certaine apporte des hallucinations. Oui, oui ! Je vous le dis ! Je ne crois pas que le directeur apprécierait vos manigances. Oh que non, que non !!! Mais c’est pas tout !! Je vais aller prendre l’air, ça commence à sentir fort ici !!

Je me demande bien pourquoi aussi ! Ah oui, j’ai fait un léger, minuscule même, bruit de déchirement propre aux flatulences. Ah lala…Je laisse mes compagnes de chambre gémissant et se lamentant sur leur triste sort alors que je referme la porte du dortoir derrière moi, suivie de près par ma famille de mouche. Je traverse joyeusement - et avec toute l’élégance que je détiens malgré l’énorme popotin qui rebondit à chacun de mes pas – la salle commune tout en laissant des commentaires désobligeants à mon pot Harry le poteux, Harry le balafré dont l’attention se porte sur une dissertation de potionnnn !! J’ai toujours aimé ce petit personnage insignifiant tout à fait dérangé par la mort calculée de ses parents et d’être la cible numéro un de Lord Valvimort…Cromirohh…Splashmort…Salsisalsa…Je ne m’en souviens plus…On se croirait catapulté dans un film de James Bro…Bonde…Bond….quelque chose de même là !! Alors, d’un pas souple et euphorique, je me rends jusqu’au portrait de la grosse dame et je bifurque sur le couloir de gauche. Mes mouches me montrent le chemin.

-Il y avait un bon jour, je sifflote en effectuant des pas de danse indéfinissables tout en prenant bien soin de brasser mon cul comme les danseuses de Hip Hop. Une crotte ambulante qui chantait avec ses mouches ! Une par une, les mouches voletaient jusqu’au tas brun en le dévorant goulûment. Oui ! Oui !

Je chantonne encore sur ce registre durant une bonne vingtaine de minutes avant d’être percutée par un poids lourd sur ma tête. Je bouscule en vociférant à tue-tête, opérant des postures de combat sans frapper mon agresseur qui sautille à mes pieds par petits bonds répétitifs. Je me fige d’un coup, les yeux en fente, la mâchoire qui pend mollement – où les mouches viennent s’abriter contre notre assaillant - et où mes traits se durcissent considérablement en distinguant un lapin dodu qui nous observe de ses grands yeux ambrés. Une sonnette d’alarme en bizbbiizzbbiizzz retentit dans mon cerveau et m’arrache un hurlement de pure terreur incontrôlable.

-BRROOOUUUAAAAAPPPRRGGGGEEEEEEUUHHHH LLAAAAAWWREEEAAAAACHHIIPPPOOOOKRRIITTTLLLLLLL !!

Avant que je puisse assimiler l’information, un régiment armé de lapins gambadant se ruent vers moi de tous les côtés !! Il en a PARRTOOUUTTTT !!!

-SAUVE QUI PEUT !!!!!! NOUS ALLONS TOUS MOURIR DANS NOTRE CHIASSEEE !!! AHHHHHHHGRRRRRRRRREEEEAAAAAPPPPPPTOU !!!

Je dois avouer que j’ai la chienne de ma vie, je claque des dents et m’efforce de ne pas avaler la famille que je protège jalousement dans ma bouche et m’enfuis à perdre haleine de ce tourbillon de poils et de graisse en grognant profondément. Nos vies sont en péril !! Nous devons nous sauver !! Je dois les sauver !! Mais où ?? La tour d’astronomie où je vais m’envoler vers les cieux et retourner vers mon père céleste !!! MOUIIII !!! Pour ce faire, je cours, je cours et j’écume de sueur en me projetant sans ménagement vers le sommet de la tour où les lapins guerriers ne me suivront peut-être pas et pour en avoir la certitude, je marque mon territoire d’un gaz nocif en époumonant ceci :

-ILS VONT MANGER TOUTES LES MOUCHES !! AHHHHGGG !!

C’est à ce moment que choisit le destin pour faire matérialiser un jeune homme à la peau cireuse chancelant avec le précipice du Diable !! JE DOIS LE SAUVER LUI AUSSIII !! Ainsi, héroïne que je suis et nullement aussi puissante que mon très cher cousin psychologiquement troublé, je m’élance sans trop savoir pourquoi vers le gouffre de la mort. MINUTE !! Je n’ai pas envie de mourir !! Si ?? Je ne vois pas pourquoi je me jetterai, la vie est belle, ni démoralisante, ni injuste, mais belle ! Non, finalement, je n’ai pas envie de me suicider, très peu pour moi ! Par contre, mon élan m’emporte un peu trop proche des créneaux et ma main s’accroche désespérément à une étoffe rugueuse. Hein ?? Il y avait quelqu’un ?? Il a dû avoir peur des lapins suceurs de sang lui aussi.

-Je te tiens !!! je crie en éjectant les mouches de ma gueule.

-Mais lâche moi !! s’exclame la victime des boules de poils, pauvre lui, il n’a plus toute sa tête. Je veux mourir !!

-Mais non tu ne veux pas !! Ils vont disparaître !! Je te le promets !! Tu ne dois pas sacrifier ton âme pour ça !! C’est dérisoire !!

Il ne se démène pas autant que je l'aurais espéré et les rayons de la lune me laissent entrapercevoir un visage borné et terrifié...non…douloureux…déterminé ? Ah…je ne sais pas !! Je m’en fous royalement !! C’est qui ça ? Pourquoi je le tiens au fait ?? Hum…Aucune raison valable ne me vient pour secourir ce type d’une mort certaine et je desserre mon emprise sur lui. C’est comme un film au ralentit…Il tombe…ses cheveux fouettant l’air…ses bras et ses jambes dansant sous le rythme des battements de cœur, - il se contente d'accomplir le minimum de mouvements, les paupières closes - et…une lueur blanche croise mon champ de vision…Les LAPINS !! Je plonge devant moi et agrippe quelque chose qui ressemble étrangement à un poignet.

-ILS NE T’AURONT PAS !! Foutus lapins !

L’élève gigote et hurle - bon pas tant que ça, c'est seulement que je veux rajouter du supense là dedans, il est mystérieusement flasque. Il m'ennuit !!- , la tête renversée. Mais il n'est vraiment pas effrayé…pourquoi ?? Humm….si j’avais été dans sa condition présentement, je me contenterais uniquement de crier à m’écorcher les cordes vocales.

-LES MOUCHES VONT NOUS VENIR EN AIDE !!! ALLEZ LES NAMIS, AIDEZ-MOI À LE HISSER !!

-NON, LAISSE MOI TOMBER PAUVRE CONNE !! - Au fait, il ne crie pas, il fait juste....râler....Je me dois bien d'accentuer ce tragique épisode de ma vie !! -

-TU ME REMERCIERAS PLUS TARD !!

Avec l’aide de mes mouches positionnées derrière le dos du suicidaire, nous parvenons à le faire basculer du bon côté où il y a un sol solide sous nos pieds et pas de lapins en vue. Le garçon est écrasé contre la pierre, haletant et maudissant tous les dieux sur terre, ses membres sont parcourus de spasmes fulgurants et il peine à se redresser convenablement. Je dépose une main protectrice sur son épaule.

-Ça va aller maintenant, les lapins ne te feront aucun mal.

Il me lance un regard meurtrier saupoudré d’une lueur traumatisée. Je n’en ai cure, je ne sais même plus pour quelle raison je suis dans la tour d’astronomie. Je fronce les sourcils, perdue et me frappe le front de la paume de ma main droite.

-C’est ça !! Lord Voldemort !!

L’absence de sol sous mes pieds me libère un instant, mon corps se voit affranchi de la pression de la gravité, mon estomac se retourne de cette délivrance exquise qui m’attire intensément vers le sol.

…

Un choc puissant, ma main décrispée se tire vers le haut, mon épaule manque de se déboîter. Que…?

- Je te tiens !!! fais frénétiquement la propriétaire de cette poigne morbide.

Pauvre sotte, que fais-tu !? Je jette un obscur regard vers le haut sans trop me soucier de qui agrippe ma manche, encore enivré par l’idée de ma chute – qu’elle a gâché !! – mortelle vers le sol.

- Mais lâche moi !! je m’emporte quelque peu, voulant faire comprendre le plus rapidement possible à cette idiote de la pire espèce qu’elle n’a aucun droit dans cette histoire. Je veux mourir !!
- Mais non tu ne veux pas !! qu’elle s’époumone au-dessus de moi.

Qu’est-ce qu’elle en sait, je vous le demande ! Je foudroie cette petite négresse sans jugeotte d’un regard noir et revêche tout en jurant contre mes dents si serrées que mes mâchoires donnent l’impression de vouloir exploser.

- Ils vont disparaître !! Je te le promets !!

Mauve et ses amants vont disparaître… ? Mes tourments vont disparaître ? Non, je ne le crois pas. Quelle promesse biaisée à faire à un inconnu. Le chagrin dénoue quelque peu ma colère, je cesse toute résistance en espérant que ses bras chétifs abandonnent sous mon poids de corps mort.

- Tu ne dois pas sacrifier ton âme pour ça !! C’est dérisoire !!

Dérisoire ? De quel droit insulte-t-elle ma peine ? Mes paupières se closent, mes songes dérivent. Silence, silence, silence… La tension vers le haut se détend, elle me laisse enfin tomber. Enfin, enfin, enfin… Après tant d’années d’échecs, me voilà finalement récompensé par le saut de l’ange ultime qui signera la fin de ma malédiction…

Mais non ! Cette sotte finie agrippe de nouveau mon poignet ! Une nouvelle fois, j’ai l’impression que mes articulations se disloquent sous le choc, que mon cœur boursouflé de chagrin va sortir de ma poitrine pour pendre misérablement sur mon torse, palpitant au bout de ses artères carmines.

- ILS NE T’AURONT PAS !! Foutus lapins !

Lapins ? Elle est dingue… Je veux que ça s’arrête… Ses hurlements sinistrement inhumains, ses mains griffues qui violent l’intimité de ma mort…

- LES MOUCHES VONT NOUS VENIR EN AIDE !!! ALLEZ LES NAMIS, AIDEZ-MOI À LE HISSER !!
- Non… laisse-moi tomber, pauvre conne… je râle, sans aucune vie ni émotion dans la voix cette fois-ci.
- TU ME REMERCIERAS PLUS TARD !!

D’une manière que je n’ai nullement comprise, cette catin démystifiée parvient à me renvoyer d’où je viens – sur la terre ferme !! La… la… les mots me manquent pour décrire toute l’horreur de cette personne ignoble qui m’a arraché des bras de la faucheuse. Non… Mauve... Mauve… Je suis désolé… J’ai encore failli à notre pacte… « Plus de ces pathétiques tentatives, compris ? Si tu as quelque chose à me dire, parle au lieu d’attenter à ta misérable vie ! Sinon, finis le sale boulot comme il se doit, que je n’ai pas à te ramasser à la petite cuillère comme aujourd’hui, comme hier et comme tous les autres lamentables jours passés apparaissant sur ton foutu calendrier !! » Foutu calendrier où je notais amoureusement, à chaque jour, de quelle manière j’allais m’y prendre pour mourir le lendemain, si jamais la tentative présente échouait… Ces essais ont tous lamentablement failli d’ailleurs, puisque je suis là, surtout après que ma sœur eut découvert mes plans et se fut chaque fois ‘amusée’ à être sur les lieux de mon prochain suicide avant même que je ne m’y trouve… Pauvre elle, toujours à s’occuper de moi... Et oh, comme je l’ai déçue ! Moi qui m’étais promis de ne pas pathétiquement échouer cette fois-ci, maintenant elle va m’en vouloir de m’être humilié à nouveau…

- Ça va aller maintenant, les lapins ne te feront aucun mal.

Je ne trouve rien à redire, las et en colère sans trop saisir pourquoi. Qu’est-ce qu’elle veut bien que j’y fasse à ses lapins, moi ? Qu’elle me laisse hors de ce délire hasardeux…

- C’est ça, Lord Voldemort !!

…pardon ? Cette folle divague au plus au point si elle en est à mentionner aussi ouvertement le nom craint – mais qu’en ai-je à faire ? je mourrai avant de rejoindre ses rangs – du dit seigneur.

- Je voulais simplement mourir… Comment as-tu pu…? je la questionne sans attendre de réponse cohérente.
- Mourir ? Comment ça ? Tu veux te suicider ? Je ne te crois pas !! Tu n’aurais jamais le courage de te jeter du haut de cette tour, alors mourir hein !!

Qu’est-ce que tu penses que je viens de faire, pauvre déchaînée ?

- C’est encore l’ongle incarné d’Elton John, je le sais !! Ce satané petit…
- Non, non, ce n’est pas lui, c’est toi… je marmonne à l’intention de cette barge bouchée.
- Moi ? OH, LES LAPINS !!

La voilà repartie dans ses divagations hystériques, à hurler en pointant quelque chose d’un long doigt noir derrière mon dos. Bien sûr, bien sûr, des lapins mangeurs de mouches… Un soupir flapi m’échappe, qu’elle aille au diable avec ses hallucinations. Je me relève avec peine, chancelant sur mes jambes courbaturées. Je trouverai bien un autre moyen d’arriver à mes fins d’ici peu, pour l’instant cela semble tout bonnement impossible avec cette sautée dans les parages. La voilà qui sautille en hurlant et en se tortillant dans les airs, tournant sur elle-même dans une étrange danse destinée à conjurer les mauvais esprits provenant des minuscules boules de poil à ses pieds.

Boules de poils ? Que… ? Des lapins. Bon sang, elle n’inventait pas sur ce coup-ci.

- NE TOUCHEZ PAS À MES MOUUUUCHES OU JE VOUS PIÉTINE AVEC MON POPOTIN AUSSI EFFRAYANT QUE LA BITE DE MON MÉCHANT COUSIN DÉTRAQUÉÉÉÉ !!! SALES LAPINS VERREUX !! JE VAIS VOUS EN FAIRE VOIR !!

Hm. Il est temps pour moi de disparaître. Trop d’énergie concentrée en un même point, de plus, je n’ai pas envie de participer à ce… piétinement maladif de lapins.

Je m’avance maussadement dans la salle à aire ouverte avant de stopper net dans mes pas, fouetté par l’émotion de stupéfaction qui nait en moi. Plus un seul pan de pierre à découvert ne caractérise le sol. Les corps multicolores et duveteux de lapins apparus de nulle part, glués l’un à l’autre (qu’est-ce que c’est que cette folie ?) recouvrent entièrement le sol gris et froid. Je me trompe ou ils sont en train de copuler ? Et pourquoi escaladent-il les robes de l’autre dingue de leurs minuscules pattes griffues, tentant de la recouvrir entièrement de leurs corps blancs, verts, bruns, rouges, lilas, bleus, noirs, jaunes, gris et oranges ? Leur escalade démentielle se poursuit même alors qu’elle se débat dans tous les sens, hurlant les paroles anglaises et déformées d’une chanson dynamique mais sans queue ni tête, se dandinant sans raison – en fait si, je ne ferais pas que me dandiner dans son lamentable cas – tout en étouffant des jurons plus que colorés, tout bonnement impossibles à inventer pour une imagination moyenne. D’un côté de la pièce, quelques femelles prennent une trentaine de seconde pour accoucher en accéléré, puis repartent sans scrupule dans leur ébats, alors que les bébés grandissent à une vitesse folle pour atteindre leur maturité et se reproduire sans fin avec d’autre partenaires aléatoires. Je soupire dramatiquement devant la scène plus qu’incongrue et sors ma baguette d’ébène – il m’est rare de m’en servir – pour lancer quelques sobres Wingardium Leviosa sur les petites bêtes assoiffées de sexe. Je les envoie valser hors de la tour, les laisse tomber sans remord - mais plutôt avec envie - en chute libre précipitée vers le sol où elles s’écraseront dans un sploch retentissant. Elles ne savent pas la chance qu’elles ont…

L’autre tarée se réveille enfin et commence à faire de même en se tortillant sur elle-même pour faire disparaître les lapins qui la recouvrent dangereusement – qu’ils la mordent, cette déboussolée ! – et réussit à en balancer plusieurs hors de la tour d’astronomie.

- AHAHAH !! MOURREZ, MOURREZ, AFFABLES DÉVOREURS DE GENTILLES PETITES MOUCHES INNOCENTES !!

Hm, elle y met un peu trop de conviction… J’ai tout simplement hâte de me glisser dans mes draps froids et de sombrer dans le sommeil, plus proche imitation du trépas à laquelle je peux accéder vu la malédiction qui pèse sur moi et me garde en vie depuis toutes ces années.

- CES SALOPERIES REVIENNENT EN FORCE !! SAUVE QUI PEUUUUUUT !!

Ai-je bien entendu ? Je me retourne lentement et avec horreur vers la large ouverture de la tour, considérant avec le moins d’émotion possible les lapins qui rebondissent vers nous avant de retomber lâchement au sol, s’envolant à nouveau, retombant au sol en agitant leurs lilliputiennes pattes… x ≠ Vxot et y ≠ Vyot – ½gt^2, je songe avec dépit à l’inégalité soudaine de ces équations fondamentales du mouvement des corps.

Nouveau soupir exténué de ma part, je range sombrement ma baguette et entreprend de me diriger avec le plus de sérieux possible vers la sortie, ignorant les multiples couinements sous mes bottes. Au diable ces bestioles, je leur tordrai bien le cou si elles ont le malheur – ou plutôt la chance, je constate amèrement – de se retrouver sous mon pied. J’atteins finalement mon but, mon échappatoire provisoire vers la liberté, lorsque derrière moi surgit à nouveau la voix suraiguë de l’autre triste débile.

- INCENDIOOO !! INCEEEEENDIOOOOO !!!!

…erf.

-INCENDIOOO !! INCEEEEENDIOOOOO !!!!

AHAHAHAHAH !! MOUAHAHAH !! BRÛLEZ !!! AHAHAH !! BRÛLEZ BANDE DE CORNICHONS FLASQUES !! BRÛLEZ !! MOUREZ !!! ASSASSINS DE MOUCHE ! MOUREZ !! ENFLAMMEZ-VOUS !!! GLAPISSEZ TOUS AUTANT QUE VOUS ÊTES !!! SOUFFREZ !!! VOUS NE MANGEREZ PAS MES MOUCHES !! OH QUE NON !! BRÛLEZ !!!!!!! AHAHAHAH !! Ils croient peut-être se nourrir gloutonnement de mes mouches ?! Ils se mettent le doigt dans le cul euh…dans l’œil ! Dans l’œil ! Allez, fuyez mes mouches, loin de ces êtres diaboliques qui n’ont aucun but hormis celui de vous dévorer !! FUYEZZZZZZZ !!! Ils me mangeront moi, mais pas vous !! BRÛLEZ !!! Je vais me sacrifier, vous pourrez vous enfuir dignement !!! PARTEZZZZZZ !!!

-INCENNNNDIOOOOO !!!! BRÛLEZ SALES LAPINS POISSEUX !!! ALLEZ EN ENFER !!! Beurkkk….ils copulent !!! INCENDIO !!

Un charmant petit couple de lapin s’embrase instantanément selon mon bon désir, me procurant par ce fait même une assouvissement miséricordieux après le stress que je subis par leur faute ! Quand même, ils n’ont aucune retenue de procréer des progénitures de leur espèce…Mais qu’est-ce ??!! Mes yeux s’ouvrent dangereusement, menaçant de bondir de leur orbite – wowww….l’image doit être succulente ! Des yeux d’Ariel qui jonchent le sol !! Mouahahah !! Que c’est drôle !! C’EST VACHEMENT DRÔLE !! Bon de quoi je parlais déjà ?? Ah oui, mes petites culottes ! Elles sont roses avec des points blancs et ressemblent étrangement à…à quoi ?? Mes petites culottes, pourquoi j’explique l’apparence de mes petites culottes ??...- au moment où une autre femelle lapine rejette le mâle essoufflé par tant d’exercice physique – ahh….c’est comme ça qu’il est Nael après une partie de jambes en l'air !! – et tend son corps velu pour accoucher de bébés lapins dans un pouf subtil avant que ceux-ci ne grandissent à la seconde pour retrouver la taille de leurs géniteurs. Par la barbe de Merlin ! Je devrais inventer un sort semblable pour mes mouches. Lesdits bébés lapins s’élancent vers moi et ricochent contre mon ventre, ma tête, mes cuisses, mes fesses – dont je peux qualifier de généreusement bien dodues -, mes bras, mes pieds, enfin bref un peu partout. ILS M’ATTAQUENT !! À MORT LES BÊTES AVIDES DE CHAIR ET DE MOUCHE !! ELLES SONT À MOI !! À MOI !! Ariel commence à sa fâcher !! ARIEL EST TANNÉE QUE DES ENCULEURS DE LAPIN LA VIOLENTENT !!

-Lapifors !! Liberacorpus !! Incarcerem !! Immobilus !! Furunculus !! Fera Verto !!!

Je permets à mes fabuleuses mouches de prendre de l’avance ! Elles volent !! Loin et haut !! En fait, je ne les vois plus !! Ah bâtard de chiasse !! Maintenant, où que je pose mon regard, je vois des lapins transformés en statues de pierre – bien fait pour eux !! – des lapins infestés de furoncles suintant un liquide blanchâtre, des lapins métamorphosés en verre-à-pied, d’autres sont immobilisés, certains sont ligotés et enfin, des lapins qui volent…ILS VOLENT !!!!! Ils sont suspendus dans les airs en agitant leurs petites pattes grasses. Par mon popotin tout puissant !!! Je ne savais pas que j’avais un registre aussi vaste que cela. Je croyais me restreindre à deux formules, maximum trois ! Eh je vous dis que je m’impressionneeuuhhhh !! Mais il reste encore des lapins !! Partout des lapins !! Partout, partout, partout !! Partout, partout, partout, partout…Partout quoi ?? J’ai perdu le fil de ma pensée…Pense Ariel…pense… ! Il y a des bêtes poilues qui me heurtent impitoyablement ! Je sens que je vais avoir des ecchymoses demain… !! Humm…pourquoi je suis dans une tour ? C’est incompréhensible à la fin ! Aïe, satanées bestioles ! Ils m’ont fait mal !! MAMAN !! Je veux m’en aller. Rapidement, angoissée et tremblante, j’évalue la situation comme le ferait mon tendre cousin à la tête blanche. Pas si facile, je me perce le crâne afin de découvrir ce que je dois chercher…Une sortie ! Ouiii ! Et ensuite ? Je ne sais paaas… Je veux mon biberon !! VEUX MA MAMAN !! Ah tiens…alors que mes yeux se remplissent de larmes, je me rends compte que je ne suis pas toute seule – à l'exception des lapins qui convergent vers moi -. Il y a un type qui marche sur les pauvres créatures avec animosité, bavant abondamment et rugissant sa colère et sa détermination de circuler en toute liberté !! Ahahaha, vous m’avez crue !!?? Bande de cons ! Mais non, il essaye de passer par une ouverture – UNE OUVERTURE – avec une tête d’enterrement, la mine sinistre. Ah lala…Ça semble difficile – Ayoye, une légion de lapins a souhaité me rentrer dans le rectum, car ils se sont abattus contre la paroi molle et douillette de ma croupe et semblent s’être rompus la nuque car ils ne remuent plus -. Je vais aller lui donner un coup de main !!

-Attends !!! J’ARRIVE !!!

Le mystérieux inconnu – il est bavant celui-là, je me sens toute timide tout à coup…- me gratifie d’un regard haineux – il m’aime déjà !! Quel couple on ferait ! – avant qu’il tente de s’engouffrer par l’ouverture minuscule de notre salut – et sans moi, quel hypocrite, moi qui lui faisais des yeux doux !! – j’empoigne ses cheveux d’une main puissante et l’attire vers moi.

-C’EST MOI QUI VA PASSER EN PREMIER !! je m’époumone en l’écrasant contre le mur avec mon postérieur – j’essaye de lui passer sur le corps…oh quelle belle expression… ! Nael doit l’aimer ! -, mais un essaim de lapins destructeurs nous englobent brusquement.

-NOUS DEVONS NOUS ÉCHAPPER !!!

-Arrête de gigoter... peste l’abruti derrière moi qui n’accepte pas qu’une bonniche comme moi lui montre mes fesses.

-Avoue que tu les veux, heinn ??

Je les dandine – ignorant où elles sont posées particulièrement, espérons que ce n’est pas en bas de la ceinture – en riant à gorge déployée. Mais croyez le ou non !!! À ce moment précis et pas à un autre moment !! À ce moment ci ! Une maudite crotte verte et recouverte de poils fonce tête baissée vers ma bouche et enfonce sa tête minuscule dedans !! J’ai un lapin dans MA gueule !! Je m’étouffe, j’ai les larmes aux yeux et l’autre sans génie – l’animal là – me donne des coups de pattes sur mon menton !! Et là, le garçon qui voulait attenter à sa vie – il le voulait ? Ah bon, je ne m’en souviens pas. Une chance que je n’étais pas là, sinon je l’aurais empêché de faire une telle bêtise – me projette vers l’avant et se précipite avec l’espoir d’un fou vers la porte… LES MOUCHES !!!! LES LAPINS VEULENT MANGER MES MOUCHES !!! Enragée comme je suis – je recrache le lapin - je ne distingue plus humain et lapin, j’envoie des sorts partout à la fois sans me préoccuper de ce que je frappe.

-Stupéfix !!!

Un bruit sourd me parvient. Ça ce n’est pas uniquement qu’un lapin…Qu’est-ce que j’ai…Ah putain…C’est le suicidaire qui a absorbé mon stupéfix…

- Attends !!! J’ARRIVE !!!

…comment ça, elle arrive ? Je n’ai pas besoin d’elle pour passer une satanée porte, pardi. Va au diable, vieille grébiche – mon ardeur à penser ces lignes m’effraie - joufflue ! Plus qu’elle apparemment, car mon regard haineux ne la fait point frémir, mais bien rougir ! C’est quoi ces yeux de poisson enamouraché d’une sauterelle ? Elle ne va pas se mettre à se trémousser maintenant…? Une main griffue s’empoigne d’une pauvre et innocente touffe de cheveux noirs aux reflets violets, les tirant vers l’arrière avec une force démentielle qui m’arrache un glapissement de surprise.

- C’EST MOI QUI VA PASSER EN PREMIER !!

Passer en premier ? Ai-je mentionné quelque part que je cherchais à lui bloquer le chemin ? Je la laisse écraser son derrière proéminent sur ma poitrine – si ça l’excite… j’ai tout simplement hâte qu’elle déblaie l’entrée et me laisse sortir à mon tour – tout en gesticulant et en m’envoyant quelques coups de fesses bien placés. Bon sang… Dégage, pauvre truie.

- NOUS DEVONS NOUS ÉCHAPPER !!!

Tiens donc ?

- Arrête de gigoter... je bougonne sombrement, ne sachant plus très bien dans quelle position nous sommes.
- Avoue que tu les veux, heinn ??

Que je veux quoi à la fin ? J’ai peine à suivre son délire, mon crâne me triture de maints lancinements alors que chacun de ses cris diffames crée un nouveau sillon de douleur dans mon cerveau torturé. La voilà qui se dandine – pitié, non pas ça… - avec comme seul avantage de mon côté qu’elle risque bien de m’achever d’une crise cardiaque dans les prochaines minutes si je ne réussis pas à garder mon sang froid. Elle s’envenime et se met à bafouiller des sorts incompréhensibles, un lapin dans la bouche – que diable fait-elle !? – avant de recracher la pauvre bête et de…

- Stupefix !!

…me pétrifier. Gosh. Quel geste inconsidéré, surtout que me voilà figé dans une expression d’écoeurement le plus complet, pathétiquement amorti dans ma chute par une mer de lapins qui décide de me recouvrir minutieusement. La main noire de l’autre dingue me griffe soudainement le visage, mais je ne peux émettre aucun mouvement de recul face à ce geste alors qu’elle tente lamentablement d’enlever les dizaines de lapins qui s’empilent sans fin sur mon visage, m’empêchant de respirer. Chouette. Finalement ma soirée n’aura pas été vaine. Je relaxe quelque peu – chose difficile vu mon état quelque peu stupéfié – et ne lutte nullement contre la suffocation qui mord vivement ma gorge et mes poumons. Aaaah, douce asphyxie, douce délivrance, amène-moi loin de ce puéril monde de folies impures et de batifolages insipides !

Mais non, à nouveau la petite bougresse enfonce ses gros doigts dans mes cheveux et les tire violemment vers l’avant, me dépêtrant des petites bestioles affamées de ma mort.

- NOOOON !! Ne te laisse pas ainsi aller !! JE NE VEUX PAS TE PERDRE !!! Bougez de là, cochonneries véreuses !

Elle me soulève avec une force prodigieuse alors que je reste rigide au bout de ses bras tremblants aux muscles contractés – pas bien le choix vu le stupéfix odieux qu’elle m’a lancé il y a de ça moins de deux minutes – et qu’elle me trimballe jusqu’à un coin moins populeux de la salle. Elle me dépose promptement au sol et me gifle violemment, alors que je cesse de me demander ce qui lui prend.

- Réveille-toi !! NOOOON !! Pourquoi t’es mort, hein !? POURQUOOOIII !!!!

Pourquoi j’ai l’air mort !? Parce que tu m’as stupéfiée, sombre écervelée !

- Saloperies de lapins, ils auront voulu prendre mes mouches, mais ils t’ont pris toiiii !!! ILS ME LE PAIERONT !! INCENDIOOOOOOO !!

Un jet de flammes endiablées jaillit à nouveau de sa baguette virevoltant dans toutes les directions.

- Sinon… t’es qui au fait ? qu’elle me demande avec de grands yeux ébahis, oubliant momentanément le feu vomi par sa baguette. AÏE C’EST CHAUD, BORDEL DE COCCINELLES EN RUUUT !!!

Ce sont des coccinelles maintenant ? Bon sang… Délivre-moi de ton sort idiot et laisse-moi mourir… Elle se tortille misérablement en tentant d’enlever le lapin qui s’est pris dans ses cheveux – manquant faire flamber ceux-ci dans le même mouvement – et se rend finalement compte que sa baguette n’a pas fini de cracher ses giclées de lave incandescente. Enfin, l’écervelée coupe le sortilège, lance la pauvre bestiole au bout de ses bras, et reporte son attention sur moi... J’aurais réellement préféré qu’elle m’oublie.

- Hmm, t’es mignon toi, qu’elle fait en se léchant effroyablement les lèvres.

Mon cœur fait un bond d’horreur dans ma poitrine en la voyant me lorgner de ses grands yeux admiratifs. Que… ? Elle n’y pense tout de même pas ? Une nouveau flot de conneries débilitantes jaillit de ses lèvres endiablées et je me tasse intérieurement sur moi-même.

- Dommage que tu sois mort, je te mettrais bien sur ma cheminée avec mes toutes mignonnes petites mouches empaillées, ooooh que oui que ouuiii !!!

Elle veut m’empailler ? Comment ça « Dommage que tu sois MORT » ? Normalement quand on empaille un… animal, on ne le fait pas pendant qu’il est vivant... hum, si ? Eh bien tant pis, j’imagine que le processus devrait bien venir à bout de ma lamentable carcasse si jamais elle met ses plans à éxécution.

- Je disais quoi moi ? Ah oui !! Les patates empaillées sur ma cheminée !!

…ce n’était pas des mouches ? Arrête de divaguer et fais en sorte que ta grande bouche babillante prononce les mots « enervatum » dans les minutes qui viennent pauvre idiote… Je veux m’en aller d’ici… Quelle folle idée que de m’éclipser dans cette tour saugrenue pour mourir, j’aurais du me contenter du carrelage de la salle de bain et me draper amoureusement du silence qui m’est refusé en cet endroit chaotique. Un lapin plus brave que les autres gravit minutieusement mon épaule, seulement pour être chassé par la proximité très, très envahissante de l’autre dingue au dessus de moi.

- Hmm… Mais le degré de vitrosité de tes jolis yeux mauves m’indique que tu es… TOUJOURS EN VIE !! Oui !!! Alors tu dors ? Les yeux ouverts !? C’est un cas !!

Un grand œil bien trop curieux vient se… frotter contre le mien. Qu’est-ce qu’elle fait bon sang !? Elle tente d’humecter ma cornée avec son propre liquide larmoyant ? Stupide, stupide !! Non, je m’emporte… Je laisse quelques instants magiques au graphique tumultueux de ma frustration pour redevenir une fonction constante ET nulle. Voilà. Doux apaisement.

- Non, toujours pas de réaction, qu’elle constate bêtement tout en maugréant quelques plans idiots pour me ranimer.

La voilà qui penche la tête de côté – ses mouches suivent le mouvement de ses longues boucles de cheveux noirs – comme si elle espérait par ce geste que ses deux uniques neurones se touchent dans sa cervelle vide.

- J’AI TROUVÉ !! qu’elle me beugle dans l’oreille sans aucune considération. C’est comme cette fille, là, dans les contes de ces moldus bizarroïdes ! Tu t’es transformée en belle au bois dormant !!

C’est quoi cette nouvelle ânerie ?

- Attends… je crois que je sais exactement ce qu’il te faut !!

La voilà qui farfouille dans ses petites culottes – roses à pois blancs, elle n'a absolument aucun goût - à la recherche d’un quelconque objet (un lapin féroce me mordille scrupuleusement les doigts pendant ce temps). Elle sort un long objet… jaune à l’apparence bouclée et soyeuse. Il ne me faut que quelques instants pour y reconnaître une saugrenue perruque blonde qu’elle agite joyeusement au bout de ses bras en s’exclamant qu’elle « a trouvé le parfait objet mouchien du plus utopique et mouchitique des mondeeeeuhs », rajoutez beaucoup de points d’exclamation. Que…? L’énergumène m’enfonce la perruque dorée sur le crâne sans que je ne puisse émettre un seul son de protestation, et se rapproche dangereusement de mon visage, ses grosses lèvres bouffies, entourées d’un dégoûtant nuage d’infâmes mouches, tendues en cul de poule.

- Et maintenant viens que je te redonne vie d’un gros baiser mouillé, ma mignonne petite princesse !!

Il était une fois sous la voûte céleste drapée de velours noir, une jolie, petite, gracieuse, raffinée, sensuelle, élégante, ravissante, sublime, courtoise, sensationnelle, extravagante, étonnante, majestueuse, retentissante, nauséabonde…euh…non je voulais dire phénoménale et magnanime Ariel qui eut tôt fait de raviver la flamme ardente de la passion démentielle naquit en son cœur si pure et si jeune en sauvant son prince charmant – et mort de toute évidence – d’une fin partiellement tragique et déconcertante ! C’est ainsi, qu’après moult péripéties afin de lui préserver son âme qu’elle démontra sa bravoure et son courage infaillible tout aussi bien que sa beauté fulgurante. Elle traversa des eaux de feu, lui léchant avidement les chevilles meurtries, combattit des hordes de démons affamés, vainquit le Seigneur des Ténèbres avec l’aide de ses pouvoirs magiques colossales et couvrit la terre de lumière et de bonheur, d’amour et de paix, de mouches et d’elle-même ! Ariel, grande déesse de l’humanité, gardienne de la virginité féminine, haute prêtresse de la virilité masculine et détentrice du pouvoir divin des mouches s’élança promptement vers son tourtereau, érigeant un plan minutieux et implacable en vue de le soustraire d’une mort certaine, rêvant de lui offrir le baiser de la rédemption, de l’amour et de la vie.

Belle histoire, hein ? Hein ? Hein ?? HEIINNNN ??!!

Avouez que vous ne pouvez pas faire mieux bande de fumier en décomposition !! Mouais !! Ariel is the best !! ARIEL EST LA MEILLEURE !!!! Ariel est un ménestrel de l’époque antique, débitant sans cesse des belles paroles mélodieuses !! Pour un peu, je me croyais ! Ah lala…Moi, déesse des mouches et de tout l’univers, écrasant ce type sous ma botte tout en le sommant d’exécuter mes ordres…Wowwww…Nah ! Ça ressemble trop à Nael comme comportement. Je préfère de loin éviter ce genre de fantasme blasphématoire, car dieu, mon père, ne voudra plus de moi dans son paradis, moi l’ange déchu ! Oui, oui ! Je suis un ange venu des cieux avec pour mission de convertir le peuple mortel à la foi mouchienne. Je vous le jureuuhh ! Ah lala….Je me vois clairement m’élever dans les airs, fouettant l’atmosphère de mes ailes blanches, moi la lumineuse héroïne noire volant au secours d’un pathétique maigrichon en péril qui refuse tout bonnement d’accorder à une personne de mon envergure et de ma gentillesse de lui sauver la peau. Quel orgueilleux petit prétentieux !! Tu fais moins la malin depuis que tu es mort, pas vrai ?!! Tu aurais tout de même pu me remercier de mon aide ! Moi qui me fends le postérieur en deux et vends mon âme aux tourments de l’éternité pour que tu te redresses sur ta tombe – qui est une couche de lapins grouillant, couinant odieusement – afin qu’il marche à nouveau ! Humm…Sérieusement, cette crotte blanche a plutôt une apparence dégradante d’un cadavre flasque si nous enlevons l’odeur de putréfaction, sa chair pourrie et ces yeux vitreux qui sont présentement exorbités, menaçant de jaillir de leur orbite ! Donc, moi Ariel, la dompteuse de mouches, ne sais plus quoi penser, moi qui était si intelligente autrefois…quelle déception ! Alors que dois-je faire ? J’ai un homme mort devant moi aussi rigide et vibrant que le tube à rayon cathodique de Nael !!

M’enfin…J’observe la chose un instant, repoussant des mèches blondes de ma perruque de plusieurs coups de tête, m’humectant les lèvres de ma langue rosée alors que ma bouche charnue espère recevoir un bisou coquin. Le gars semble soudainement reprendre vie, ses pupilles dilatées recèlent la terreur ou peut-être un simple dégoût sadique. Tu veux un bisou !! Il veut un bisou le chien !! Oh que oui il veut un bisou !! Oui oui !! Il en veut un ! Hein !! Dis le gros cochon !! DIS QUE TU DÉSIRES QUE J’ABUSE DE TON CORPS !!!DISSS LLLEEEUUHHHHHH !!! Il le dit pas…Je suis déçue….terriblement déçue ! D’accord, il est vraiment parti vers l’au-delà, mais je vais le ramener par le baiser de la princesse, comme dans les comptes de fée ! Doucement, je rapproche mes lèvres tendues vers les siennes, mes mains tâtonnant le vide à la recherche de quelque chose. Je vais te ressusciter mon petit suicidaire !! MOUHAHAHAHAHAHAHAHAHAHAHAHA !!!! Rapidement, mes doigts frôlent des oreilles poilues que je happe sans ménagement.

-ALLEZ EMBRASSE LE LAPIN DE TES RÊVES !! Miaammm !! Miammm ! Que c’est bon ! Tu aimes ça pas vrai !!

Comme j’avais une réticence à me saisir d’une bouche morte, j’ai donc tranché sur l’identité de la fameuse princesse qui est : CE JOLI PETIT LAPIN ROUGE INFESTÉ DE PUCES !! Je l’ai plaqué violemment sur la bouche de notre ami ici présent, toujours aussi immobile et figé. Je le fixe durant quelques secondes, désespérée. Non, mais le lapin ne l’a pas réveillé ??!! Foutu lapin de mes deux !! Tiens prends ça !! Je lance le lapin dans les airs où il effectue des sauts périlleux formidables avant de s’écrabouiller parmi ses confrères bruyants.

-Tu ne veux pas revenir à toi, hein ? je demande à l’autre d’un ton ennuyé. Je vais devoir prendre les grands moyens cette fois.

Je dois dire que je suis fâchée, très, très, très, très fâchée ! Il va me le payer !! Il me fait perdre mon temps !! Brutalement, je m’arrache la perruque que je dépose non sans douceur sur son crâne à lui et l’empoigne par le collet de sa robe de sorcier. Non, mais vraiment ! Il pourrait être un peu plus civilisé !! Il pourrait me rendre ces hommages et se prosterner devant moi en récompense de mon aide. Je n’ai rien demandé en retour ! Si le lapin n’a pas pu lui rendre la vie, alors qui le pourrait ? Mes mouches !?? Hors de question qu’elles le touchent. Il pourrait avoir des microbes partout sur le corps. Cependant, je ne risque rien. Je suis un ange descendu sur terre !! Je traîne la carcasse osseuse derrière moi, enfonçant la pointe de mes pieds dans les lapins projetés hors de mon chemin !

-Aguamenti

Un jet d’eau surgit du bout de ma baguette magique, déversant des flots continus, apportant sur son sillage les lapins. Le torrent écumant inonda le sommet de la tour, roulant entre les créneaux et s’abattant sur le parc dans un fracas assourdissant. Ah lala…des fois je m’épate…

-Braquium-emendo !!

Tout à coup, les bêtes au museau frétillant se ruant vers moi se transforment en tas de peau molle, dépourvues d’os.

-Crachlimace, Destructome, Glacius, Kanarpalmus !!!!

Bon…humm…des lapins crachent des limaces, d’autres se sont désintégrés avant d’atteindre leur cible – moi -, certains sont devenus des statues de glace et maintenant…..il y a des canards ici et là, vestige d’anciens vampires dénommés lapins ! Le chemin est libre !! Je cours, tirant le défunt derrière moi, sa tête rebondissant sur les dalles, ballotté comme un vulgaire cochon de cirque ainsi que prenant l’utilité de civière pour quelques lapins paresseux endormis sur sa poitrine. LE REBORD EST PROCHE !!! JE SUIS CAPABLE !!!! Prestement, je me retourne vers l’inconnu, agrippant solidement ses vêtements et la balance de l’autre côté de la tour, à savoir dans le vide.

-JE PRIERAI POUR TOI !! je crie, satisfaite de ma bonne action.

C’est en posant un regard médusé sur les lapins carnivores qu’un bruit sourd retentit, faisant vibrer le château jusqu’à ses fondations !! Mais qu’est-ce que c’est ??!! LA FIN DU MONDE !!!!!! Derrière moi, se dresse un mur géant de lapins aux yeux injectés de sang couronné par le bougre que j’ai lancé il y a à peine deux secondes. Eh ben...